Sur le fil…c’est là où je suis. Difficile de dire où je me dirige réellement. J’étais là et deux secondes après je n’y suis plus. Je crains de tomber et pourtant je suis tellement sûr de pouvoir encore avancer. Mes paupières sont lourdes. Probablement ce mélange de fatigue et de médicaments. Combien de temps mon cœur va-t-il encore tenir ? Une heure ? Un jour ? Une semaine ? Un mois ? Ce sera la durée de mon calvaire, autant que ce soit bref.
Je m’endors et pourtant je continue à penser. C’est étrange. Mon cerveau ne s’arrête plus. Je pense sans arrêt. Du répit. C’est ce que j’attends. Mettre mon corps et mon esprit en stand-by.
Mais même ça, on ne me l’accorde pas. J’ai envie de crier, mais je n’en ai pas la force.
Ca ne sert à rien de lutter. Je me laisse partir. Pourvu que je meure…
Le téléphone sonne. Huit heures. Et merde, je ne suis pas mort. Il faudrait que je me lève pour répondre, mais mes jambes ne répondent plus. Je réalise que je ne suis pas dans mon lit, mais dans ce vieux canapé que je n’ai jamais eu le courage de jeter. Hier, j’ai encore manqué de courage, je n’ai pas pu me traîner jusqu’à ma chambre. La traversée du couloir me semblait si insurmontable que je n’ai même pas pris le temps d’essayer. Ca ne s’arrête pas de sonner. Ca doit être important. Dans un ultime effort, je m’extirpe de ce petit bout de tissu rouge qui m’a servi de couverture et avance vers la table où le téléphone est posé.
Je décroche. Ma mère. J’aurais mieux fait de rester couché. Déjà des problèmes à huit heures du matin, ça commence bien. Elle parle trop. Je ne comprends que la moitié des phrases. Sûrement un reste d’hier. Je coupe la communication. Ca ne sert à rien de parler. Elle ne comprend pas pourquoi je suis comme ça. Elle ne s’y est jamais intéressée non plus.
La pauvre, elle n’a pas de chance d’avoir un fils comme moi. Mais elle l’a bien cherché…je suis comme mon père. Il faut que j’oublie cet appel, sinon je vais y penser toute la journée.
Ca fait déjà trente minutes que je suis levé, et je viens tout juste de m’apercevoir de l’état de mon appartement. Je n’ose pas même rentrer dans la cuisine. Le sol glacé me fait l’effet d’un électrochoc. Je mets en route la cafetière. C’est mon dernier espoir de réveil.
La douce odeur de café se répand dans ma cuisine, seul plaisir de la journée. J’allume une cigarette. La première de la journée, ça fait du bien. Je la savoure.
Je prends ma douche et m’habille machinalement, il est presque neuf heures déjà.
J’essaye de me souvenir du programme de la journée. En vain. Je crois que je n’avais rien de prévu. Comme d’habitude. Je me demande même pourquoi je me suis posée la question.
Il faut que je sorte. Si je reste ici, ça va mal finir je le sais. Je prends les clés et sors de l’appartement. Il fait gris. Même le temps s’acharne sur moi. Je deviens paranoïaque.
Encore un effet secondaire. Je suis en bas de l’immeuble et je ne sais pas même où aller.
A droite ? A gauche ? Je crois finalement que je vais aller faire des courses. Plus rien dans le frigo. J’arrive au magasin. Trop de monde. Je crois que je deviens asocial. Je ne sais même pas pourquoi je suis rentrée dans ce magasin. Je n’ai pas un sous en poche. Encore une carte bleue mais encore à découvert. Ca fait des mois que ça dure. Je vois mal comment m’en sortir aujourd’hui. J’erre dans les rayons. Je regarde les gens. Ils ont l’air presque heureux. Sensation étrange. J’ai moi aussi été quelqu’un comme ça à un moment donné. C’était il y a longtemps. Je m’en souviens à peine. Un enfant pleure. Je le supporte à peine. Son père est là. Il l’embrasse. Je le supporte encore moins.
J’ai déjà rempli mon panier. Quelques steaks hachés surgelés, des pâtes, un pack de bières. Ca me permettra de survivre quelques jours. La caisse. Une jeune fille aimable. Le sourire aux lèvres. Comment fait-elle avec un travail pareil. Comment font tous ces autres pour ne pas craquer ? Je sors. Il était temps. Je veux rentrer chez moi. Finalement c’était une mauvaise idée de sortir. Il s’est mis à pleuvoir. Je cours à la voiture et enfin roule jusqu’à chez moi, l’esprit vide. Je monte les quelques étages en vitesse. Je suis essoufflé. J’aurais dû prendre l’ascenseur. J’ai arrêté le sport il y a déjà quelque temps. Ca se voit. Je n’ai plus beaucoup de force. J’ai beaucoup maigri aussi. Mais je m’en fiche. Ce n’est plus l’important maintenant.
De retour chez moi. Enfin. Mais rien à faire. Je me pose dans mon fauteuil. J’allume l’unité centrale. L’écran de l’ordinateur s’allume. Internet, ma dernière fenêtre sur le monde. Je crois que je préfère les gens que je ne vois pas. Au moins je ne leur fais pas de mal.
Je discute. Une heure, deux heures… le temps défile. Je passe le temps. Je m’ennuie.
J’ai l’impression de partager quelque chose avec quelqu’un, même si c’est à des centaines de kilomètres. Mais c’est déjà ça.
Ca sonne à nouveau au téléphone. Pas envie de répondre. Ce sera encore pour sortir. Une soirée de plus de tentations en tout genre. Ce n’est pas ce qu’il me faut. J’ai envie de m’en sortir moi. J’ouvre une bière. Dix huit heures déjà. Je n’ai pas vu la journée passer. D’ailleurs je n’ai même pas pensé à manger à midi. Pas grave, je pourrais faire de sacrées économies à ce rythme là. Une deuxième bière d’avalée, ça ne me fera pas de mal, c’est moins pire que tout le reste. J’ai envie de faire quelque chose mais quoi ? C’est toujours cette même question et je ne pense qu’à une seule chose. Je veux arrêter de me mettre dans de tels états mais je ne peux rien faire c’est plus fort que moi. Je pense trop. Il faut que je fasse quelque chose. Je veux ressentir des choses. Juste des sensations pour me sentir vivant, même si paradoxalement je risque dans mourir. Peser le pour et le contre, encore et toujours…J’ai pourtant déjà pris ma décision, c’est une évidence. Je ne suis pas assez fort pour résister à ça. C’est devenu toute ma vie. Si je perds ces sensations, je perds toute ma vie. Mais si je cède à la tentation, je me perds moi-même au milieu de ces sensations. Trop tard maintenant. C’est avalé. Plus le temps de se poser la question, c’est fini.
Maintenant, je vais doucement m’envoler. Peut être même que je vais oublier ma vie avec un peu de chance. Ce soir je vais atteindre les sommets. J’en suis convaincu. Plus rien n’a d’importance à présent. Je suis léger, plus rien ne me pèse. Je sens que ça monte. La puissance m’étourdi. Je me sentirais presque heureux. Je sais pourquoi j’ai choisi de le prendre ce petit bonbon maintenant. C’est juste pour cet instant de bonheur. Je me sens à ma place. Je sais que cela ne durera pas mais juste pour cet instant d’euphorie, je donnerais ma vie. D’ailleurs peut être que ce soir je m’envolerais avec les anges.
La musique. Il me faut de la musique. Danser toute la nuit. Sentir les battements de mon cœur ne faire qu’un avec les battements de la musique. Le rythme s’accélère, mon cœur aussi. Va-t-il lâcher ? Ce serait trop beau, mais non, je ne peux pas mourir. C’est là tout le drame. Si seulement j’étais faible. Ca continue de monter. Je danse toujours. Je ne sais pas comment j’ai la force de danser encore, j’étais si fatigué tout à l’heure. Je transpire. Je perds plusieurs litres d’eau en quelques heures. Je dois boire. Et manger aussi, mais là encore j’ai oublié. Maintenant ce n’est plus le moment. Trop tard pour ça aussi. Je n’ai qu’à me laisser transporter et la nuit passera ainsi. J’essaye de regarder l’écran d’ordinateur mais mes yeux n’ont pas l’air d’être d’accord. Je ne vois plus rien, tout se trouble, mes pensées se mélangent.
J’ai presque peur maintenant. Je suis peut être allé trop loin. Mais je ne reviendrais pour rien au monde en arrière. Les minutes passent, j’ai mal partout, je sens trop mon cœur maintenant. C’est douloureux. Est-ce que je vais pouvoir redescendre ? Sûrement oui, malheureusement.
Je voudrais toujours rester en haut mais non, ce n’est pas possible. Je voudrais trouver quelque chose d’assez fort pour rester perché indéfiniment. Ce serait le rêve. Et peut être que j’arriverais à atteindre l’arc-en-ciel. Il me paraît si loin maintenant. J’essaye de l’atteindre pourtant. C’est pour cet arc-en-ciel, que je mange des bonbons. En vain. Il est toujours trop haut. Je crois que je vais renoncer à l’atteindre. C’est peine perdue. De toute façon, là je tombe. J’espère ne pas me faire mal. La chute est souvent difficile. Et personne pour me rattraper.
Je suis toujours tout seul de toute façon. Qui donc pourrait me sauver ? Ma chérie ? Elle que j’ai laissé partir ? Non, pas elle, elle est déjà si loin. Ma famille ? Non, pas ma famille, ils n’ont jamais compris. Et puis je risquerais bien de les emmener avec moi dans ma descente aux enfers. Alors que me reste t il ? Des amis ? Ceux là même qui m’aident à me défoncer ?
Définitivement je suis seul. , cette fois ci, personne pour me sauver.
C’est une bonne fin. L’atterrissage va être violent mais bref. Ca y’est ça part de là.
Cinq heures du matin. Toujours vivant. Mais comment est ce possible ? J’avais envie de mourir pourtant. On ne peut pas dire que ce soit une question de volonté, car je n’ai vraiment aucune envie de rester ici, fatigué de devoir survivre.